Cette colère

27 novembre 2023

Et dans la lueur vacillante de cette colère
on vit des femmes muettes échevelées
aux paupières gonflées et sans cils
avancer en se tenant par la main.
Un sang chaud coulait sur leurs joues
chaudes larmes rouges tatouées.

— Goliarda Sapienza, in Ancestrale, chez le Tripode.
Traduit de l’italien par Nathalie Castagné.

Je pense au projet de loi immigration, qui entend supprimer les aides médicales dites "non urgente", et autres dégradations de l’accueil, dans l’espoir de diminuer l’afflux des exilés. Ce genre de loi, de pensée, est tellement loin de la réalité des motivations et de l’état du monde en général, ça me met hors de moi, tant de bêtise et de haine de l’Autre mêlées, ou tant d’intelligence cynique je ne sais pas car j’ai toujours du mal à croire que les ministres et députés peuvent être aussi stupides, je ne sais pas s’ils sont bêtes et méchants, ou alors malins et méchants, ou alors malins, bêtes et méchants.

Quelqu’un qui décide de traverser déserts, forêts, mers, montagnes, pour venir en Italie, en France, en Angleterre, ne va être arrêté par une modification de la loi. Les racistes pensent que les gens viennent pour profiter du système, et que si l’offre est détériorée, ils ne viendront plus. Comme s’ils étaient des clients qu’on ne voulait plus voir. C’est une vision complètement hallucinée. D’abord, on devrait se ficher de savoir pourquoi quelqu’un veut aller quelque part. Ensuite, le mouvement de vie, de survie, de désir, qui anime quelqu’un qui s’exile ne peut pas être réduit à cette caricature, et toute caricature de loi ne changera rien, déjà pour la seule raison qu’on ne peut pas changer le désir. Enfin je crois, c’est ce que je comprends en écoutant des témoignages, ou en lisant ce qu’écrit Marie Cosnay par exemple.

Cette façon qu’un gouvernement peut avoir de prétendre renverser localement le mouvement d’immigration mondial qui augmente est tout simplement un déni, un de plus de ce gouvernement là, d’autres gouvernements.

En revanche, cette façon de voir l’Europe comme un marché des destinations est tout à fait exact pour les capitalistes, les multinationales, qui utilisent l’UE comme un marché des réglementations sur le travail pour décider où s’implanter, où investir, en fonction des lois nationales d’imposition, de conditions de travail, de structures de services publics etc. Y compris s’il faut les changer par des effets de lobbying. L’UE a été faite non pas pour toutes les bonnes raisons qui d’ailleurs fleurissent sur les abri-bus en ce moment, démocratie, écologie etc., non ça c’est le vernis pour voter et soutenir le système économique qui propose toujours moins d’État, toujours plus de libéralisme, et qui entend diminuer le coût du travail direct ou indirect pour concurrencer des pays à la limite de l’esclavagisme pur et simple.