Tesla sale

9 juillet 2022

Je vois par la fenêtre, comme cet hiver au même endroit, au pied d’une maison traditionnelle du Haut-Doubs, large et haute car on y mettait les bêtes en bas, pour réchauffer le salon au-dessus, on entrait et on entre encore dans ces maisons par un escalier extérieur ; il y a donc toujours la Tesla bleue foncé.

Très peu de chance que ce soit quelque vacancier de retour au même moment que nous, à huit mois d’intervalle, au même endroit, dans la même maison. Un type en bermuda la lave au Kärcher. Je n’avais jamais pensé aux Tesla sales, c’est vrai qu’elles sont toujours propres, irréprochables, racées, tout ça est dans le cahier des charges, mais la propreté est à la charge du propriétaire ; quoique, peut-être dans le contrat. En tout cas, celle-là est bleu flic, était parfaitement propre pourtant hier, de mon de point de vue à cinquante mètres environ. Je déteste Elon Musk et, par métonymie, les véhicules et leurs propriétaires ; sauf bien sûr à en rencontrer un par hasard, discuter avec et m’apercevoir a posteriori qu’il ou elle a une Tesla, personne n’est pas parfait, c’est tout, et puis c’est une voiture, ça roule, c’est fait de pétrole et de métal, d’extorsion de plus-value sur le travail comme chez tous les constructeurs, la planète brûle et on va tous mourir, certes.

Là, le type ouvre le capot avant. Pourquoi ouvrir le moteur alors que c’est un bloc électrique, une simple batterie ? Ouvrir le capot le samedi matin après le grand lavage est peut-être devenue une tradition ancestrale des hommes vrais mecs de l’ère du pétrole ? Je me renseigne, c’est un coffre, bien justement, puisque le moteur, électrique, est tout petit. J’étais donc mauvaise langue. Mais je déteste les Tesla et Elon Musk qui prétend vouloir sauver l’humanité en allant sur Mars alors qu’il cherche simplement à faire quelque chose de fun avec son argent avant de mourir. Pendant que j’ai ces réflexions négatives et inutiles, le type en bermuda soulève la voiture au cric et retire une roue. La tradition impose un changement une roue, ou un nettoyage des essieux hebdomadaire. Finalement, une fois propre jusqu’aux disques de frein, un porte-vélo est attaché. Je ne vois pas de vélo. Le soir non plus, ni le lendemain matin. Finalement, le soir suivant, le porte-vélo est détaché, la sortie fut courte, ou annulée. Le lendemain la Tesla sale nettoyée a disparu. Or, c’est lundi. Fin du week-end ? Jour de travail ? De retour le soir, capot ouvert, portes ouvertes, comme pour un nouveau grand nettoyage. Tout cela fini par me lasser, je devrais me trouver d’autres occupations, comme de lire un Maigret qui se trouve dans la location, Maigret s’amuse, où le commissaire est consigné à domicile pour l’été, par son médecin, et va suivre, à distance dans les journaux, comme le public, une enquête que conduit Janvier.

Le petit vieux à barbichette sortait à nouveau de l’ombre de l’entrepôt, à reculons, regardait à gauche et à droite, avec un geste des deux mains comme pour attirer vers lui le lourd camion dont il dirigeait la manœuvre. Ses mains disaient :

— Un peu à droite... Là... Tout droit... Doucement... À gauche... maintenant... Braquez...

Et le camion, en marche arrière aussi, traversait maladroitement le trottoir, s’engageait dans la rue où le petit vieux, maintenant, faisait signe aux voitures de s’arrêter un instant.

C’était le troisième camion qui sortait ainsi, en une demi-heure, du vaste hall au fronton duquel on lisait : Catoire et Point, Métaux, des mots familiers à Maigret, puisqu’il les avait chaque jour sous les yeux depuis plus de trente ans.

Il était à sa fenêtre, boulevard Richard-Lenoir, à fumer une pipe à bouffées lentes, sans veston, sans cravate, et, derrière lui, dans la chambre, sa femme commençait à faire le lit.

Il n’était pas malade, et c’était là l’extraordinaire, car il était dix heures du matin et on n’était même pas dimanche.