Don : soutien ponctuel ou mensuel (Tipeee)
RSS

Y comprendre rien

lundi 22 août 2022

 

12 août 2022

Traverser la Manche, c’est aussi voir les frontières, le contrôle de passeports, les hautes barrières et les barbelés, un groupe d’hommes Noirs marcher dans un chemin de terre depuis le port vers la ville, et supposer, ne pouvoir que supposer, et ne pas voir autre chose, d’ailleurs, la préfecture ayant dû choisir les emplacements loin des yeux des touristes, comme à Miami ces rues sélectionnées où les clochards sont autorisés à dormir tous les quatre ou cinq mètres, et se demander pourquoi moi je peux passer, et pas d’autres, l’idiotie de tout ça, des frontières, des royaumes. Puis voir un car de CRS sur le parking du Décathlon et des hommes Blancs comme en armure dans le magasin, au rayon protéines en pot, aliment essentiel pour la lacération des tentes et la confiscation d’une chaussure sur deux, pour empêcher la distribution d’eau et de nourriture aux exilé-es, ainsi que l’information ; et là, le doigt sur le menton, hésitant entre les protéines de lait et celles d’algues, entre le goût chocolat et le goût vanille [1].

*

Ailleurs, c’est la guerre, toujours, depuis le temps que j’avais entendu dire que les ukrainiens se défendaient si bien et que l’armée russe était si peu organisée, le "je reviens dans trois semaines, un mois tout au plus" d’août 1914 ; je me demande comment j’ai pu croire cette fable. Naïveté guidée par un espoir de paix, paresse intellectuelle, stupéfaction. Et pendant que je lis, pour RRK, sur la résistance et la collaboration pendant la 2nde guerre mondiale, je me demande, du fond de ma vie privilégiée née en 1975 entre les gouttes [2], si la Guerre ne façonne pas l’ensemble de la société, depuis toujours. La Guerre et l’Armée, ce serait pour ça que tout le reste de la société existerait, avec quelques effets de bords, ou rejets que la Guerre peut ignorer comme les Arts [3], ou différents loisirs, activités non-directement liées à un effort, même latent, de guerre, mais que le principe directeur de "tout" reste la possibilité de Guerre. Les routes nationales et les ponts peuvent soutenir des tanks, le tracés des lignes téléphoniques souterraines est choisi sur consultation des généraux, etc. Il y a quelque chose de profondément déprimant à se dire ça, et que si un pays ne se prépare pas de cette façon, il se fera attaquer par un autre et sera soumis, les opposants en prison ou tués etc. Ce que je vois avec ce qui s’est passé en 1939, ce qui se passe dès qu’une armée attaque un pays, c’est que la Guerre était là, à la porte, attendait et arrive sans prévenir et il n’y a rien à faire, elle est là, il faut faire avec, on ne peut pas manifester contre — ou plutôt si, on peut, on devrait, même, arrêter le travail, partout se mettre en grève, bloquer le pays, les pays, et que les travailleurs et travailleuses du pays belligérant accompagnent ce mouvement international, et se mettent en grève aussi, bloquent la production, l’économie, c’est d’ailleurs la seule solution, sans doute, que je peux voir, pour la paix, par la prise de pouvoir de la classe ouvrière et la fraternité internationale qui enraye la machine économique, capitaliste, pour saboter au niveau mondial, désormais mondial, pour que ça s’arrête. C’est écrasant, évidemment, de devoir écrire un contexte de guerre, et puis j’ai l’impression, alors que je regarde défiler les pence en proportion des litres d’essence, d’être un esprit révolutionnaire dans un corps de bourgeois. Marc Bloch écrit, dans L’Étrange défaite : "Seuls les vrais combattants ont le droit de parler de danger, de courage et des hésitations du courage." Je ne peux, il me semble impossible d’écrire autre chose, que me consacrer à l’espace pour le combat de défense, sous toutes ses formes : peut-être sans le maniement des armes et explosifs, mais avec l’espionnage et, surtout, à la transmission télécom et de la main à la main de messages pour sauver des vies et la possibilité de Liberté.


[1Il faut suivre L’Auberge des Migrants, et les aider.

[2Dans un de mes carnets, en 2003, comme cette archive se souvient, est écrit : La télé boucle des Palais illuminés. Dans un salon des hommes répètent : La paix, ça résout rien. Dans la rue, un amalgame de gens défilent : La guerre, ça résout rien.
 Ma famille a connu la guerre. Mes rêves sont sans fusil. Quelque part, on tranche des mains. Le sang remplira demain un puits dans le désert. Ils crieront Démocratie. Devant chez moi aussi, roulent les tanks, s’envolent
 les missiles : ils sortent de l’usine. Je crois que j’ai repris une des phrases de ce texte dans HH.

[3On pourrait pousser un peu, et considérer que l’Art existe pour avoir, pour certains, une raison de se dire que la Guerre est nécessaire, en défense, pour protéger l’Art (il y a une phrase de Churchill ou Roosevelt qui se demande pourquoi se défendre des nazis si ce n’est pas pour la Culture) et que l’Art n’est toléré que tant qu’il ne contrevient pas aux ordres de la Guerre, comme on peut le vérifier souvent, avec la subversion réprimée pour raison d’ordre et d’Etat, pour raison de Guerre.

Je crée du contenu sur le web depuis 2001. Ici, il n'y a pas de vidéo, mais comme tout créateur de contenu, j'accepte le soutien ponctuel ou mensuel (Tipeee).